Allen-Jones 1963 / Man Woman
Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
Allen-Jones 1963 / Man Woman
solitude toulousaine et estudiantine et estivale
carton, être humain et papiers, oeuvre inachevée.../...
Le sens ?
Le sens des mots des fourmis en monts ou en lignes pointillés et commémoration du monde ; le sens du saut des étoiles et des brillances les nuits de fort vent ; le sens du verbe que je fournis pour te parler à toi et aux autres ; le sens des couchers solaires aux vibrations où naissent d’intenses couleurs ; la mort dont on cherche la signification
Le sens des guerres, des religions, des croyances, des suicides, des blessés et mutilés, du mal-être, ces dépressions qui nous creusent âmes et corps ; le sens de toutes les solitudes, ces solitudes que nous savons
Le sens des joies lorsque mes mains se posent sur ta peau chair de poule, mamelon durci et sensible ; le sens des mots amours passions jalousies, le sens des maux amours passions jalousies ; la mort : que signifie-t-elle
Le sens des grands fleuves Ogooué célèbre aux flots puissants, le sens des grandes montagnes aux perruques de neige, les trous, gouffres et grottes où l’homme lointain jadis laissa l’empreinte de ses mains, les collines douces et vertes où se cachent quelques fées et korrigans amis
Le sens du sport de compétition, des drapeaux que l’on agite les uns contre les autres ; le sens de ceux qui ne pensent pas comme vous, de ceux qui ne croient pas comme vous, de ceux qui sont certains d’avoir raison ; le sens des haines, des refus, des détestations ; le sens des peurs qui n’ont pas de sens ; que peut vouloir dire la mort
Le sens de l’ennui ; les romantiques et leurs morts ; ceux qui philosophent pour rien idéalement ; ceux qui craignent pour les autres, ceux qui ne s’intéressent qu’à eux ; les rapports aux autres : leurs sens ?
Le sens de tout ce que j’accumule ? Tous ces livres dont les couvertures vieillissent, ces musiques dont certaines vivent depuis tant de temps et ressuscitent, ces souvenances éternelles parfois mal aisées à comprendre, les images des morts, de mes morts figées à jamais dans des postures raides, je les souhaitais vivants
Le sens des trop rares amitiés, le sens des sourires et des yeux malicieux, les visages des hommes et des animaux où il y a souvent tant à lire
Le sens des beaux-arts, des cathédrales et des mosquées, de tous les lieux de culte ; le sens des interdits, la déliquescence de tant de sociétés, la crainte des sexes, la honte de la nudité, la peur du regard d’autrui ; le sens des égoïsmes, égotismes, égocentrismes ; le sens de ceux qui se sentent supérieurs, de ceux qui se croient indispensables, la suffisance des hommes et femmes politiques, de ceux qui dirigent
Je reprends :
Le sens des mots des fourmis en monts ou en lignes pointillés et commémoration du monde ; le sens du saut des étoiles et des brillances les nuits de fort vent ; le sens du verbe que je fournis pour te parler à toi et aux autres ; le sens des couchers solaires aux vibrations d’où naissent d’intenses couleurs ; et la mort dont je ne trouve aucune signification
Il faudrait être patient pour appréhender ces sens, j’essaierai de l’être
Mais et le temps passe fort ET
Je n’avais nulle part où vivre
Dans ta boîte aux lettres, je me suis lové comme un petit lérot ; enceint de tes rêves, j’ai grandi en épousant la forme du récipient ; je suis devenu parallélépipédique, du coup, je ne pouvais plus en sortir, j’ai fini desséché, brûlé par les rayons du soleil ; le facteur, lui, posait ton courrier ailleurs, sinon je déchirais tout ; j’ai compris alors que tout était vain.
Gentiment, tu démontas plus tard ta boîte à lettres, puis, tel un livre, tu me rangeas dans ta bibliothèque, j’y suis toujours, une odeur de moisi parfois émane de moi-même. Mais je te vois chaque jour, j'imagine tes couleurs ainsi au gré des journées...
Tu dis mon pessimisme ; et jadis, j’ai vu ton corps parader papillon ; l’aube qu’on dit claire souffrait de feux ; tes sources taries : tes renaissances en débâcle ; on avait bâché nos champs du désir ; nos doigts qui avaient fait l’amour ; tes sourires avec la confiance ; c’est loin la mer, n’est-ce pas ? Etale, comme peau nue.
Tu dis mon pessimisme ; il t’ennuie ; nous nous agaçons en cadence sur ces lacs profonds et sombres ; le couple n’est pas l’unisson du monde ; alors vieillir, n’est-ce pas ? après les murs, derrière ; et toi que vois-tu ? Tu dis : je ne distingue rien. Seul, le silence ; seul, le noir, l’opaque ; la mort sans doute, c’est la mort que j’ai ressentie : souffle tiède dans la nuque. Couleur ombrée sur ton épaule. Un vide sans fin. Une tromperie glacée, enivrante.
Tu dis : mon amour, on finira là, main dans la main, comme deux adolescents indécis, attristés. Puis : « l’entreprise parentale ». Puis : on vieillira, puis : je ne sais plus.
Concision, concision de la vie ? la vie : qu’est-elle ? comment vivre, quoi vivre, que vivre ? Il y a le besoin de se dire humain, le besoin d’amitié, le besoin des regards clairs. Les fagots d’incertitudes, on les posera au sol. Peut-être … mais…je ne peux me satisfaire, j’ai besoin de formes artistiques dans cette drôle de vie. Mes détours, mes déroutes salutaires.
Les artistes me font vivre.
Tu as perdu ton art subtil.
J’ai perdu ma mer proche.
Le temps va encore manquer.
Du sable, en poche, que je fais couler entre les doigts les soirs d’amertume, les soirs où je veux me déguiser en personne heureuse de vivre, c’est mon gri-gri, ce sable gris, celui de mon passé.
Les femmes des magazines donnent à rêver, mais rêver à quoi ? et elles sont trop loin, et puis les hommes se disent déçus. Et puis la chair est triste et on ne peut pas lire tous les livres et je ne peux pas parler aux étrangers ; mon pire cauchemar.
Quelle idée trop sotte cette tour de Babel ! Ces langages à jamais inconnus ! Camisoles. Incompréhensions.
« Tout le problème de la vie est donc le suivant : comment rompre sa propre solitude, comment communiquer avec d’autres. C’est ainsi que s’explique la persistance du mariage, de la paternité, des amitiés. Parce que, ensuite, voyons, là serait le bonheur. Pourquoi on devrait être mieux en communiquant avec un autre qu’en étant seul, est étrange. C’est peut-être seulement une illusion, la plupart du temps, on est très bien seul. Il est agréable de temps en temps d’avoir une outre où se déverser et où boire soi-même étant donné que nous demandons aux autres ce que nous avons déjà en nous. Pourquoi il ne nous suffit pas de regarder et de boire en nous-mêmes et pourquoi il nous faut nous ravoir dans les autres ? mystère. (le sexe est un incident : ce que nous en recevons est momentané et fortuit ; nous vivons quelque chose de plus secret et de plus mystérieux dont le sexe n’est qu’un signe, qu’un symbole.) » (Cesare Pavese, le métier de vivre, 1958.)
« J’affirme la nécessité du geste d’amour. » (Jean Michel Piton)
Insatisfaction comme le non mûrissement du raisin sur les pampres violets ;
Sur le mot : je regarde
Lequel pour mon choix : le gros posé, finement sensuel, l'autre là timide ?
Là sur ma table : je regarde
J’entrevois mots et phrases
Il faut classer, réorganiser
Toujours se battre avec la syntaxe
Grammaires en guerre
Mots qui font le mur
Ponctuations en vacances
C’est la force de l’écrivain
De tout réaligner
De tout reconstituer
Puis de tout défaire
dans un éclat salutaire
Tu dis : ?
tu dis...
c'est ainsi
c'est ainsi que tu dis, tu dis et puis tu tournes la tête vers moi, hésitante
en tournant la tête tu fais silence
yeux baissés
puis tu montres à nouveau ta nuque ta chevelure de dos
et reparles
quel discours - ainsi cachée - dictes-tu moi
tu éructes des mots que j'entends à peine
ainsi je ne vois que ton dos
tu dis quoi ?
tu dis ?
je vois tes cheveux, mais ce n'est pas ta bouche
mais tourne toi donc et fais toi bavarde, mais là en questionnant mes yeux
tu t'éloignes
puis te tais
la fenêtre fait des ombres
les enfants jouent dehors dans ces vieux bacs à sable insalubres
là où je jouais moi-même jadis avec mes billes et mes coureurs cyclistes
alors moi aussi je me tourne
et en allant droit
je quitte cette pièce sans communication
d'autres diraient que je titube, mais non je m'efforce de marcher droit, mais marcher sans respirer n'aide pas et j'étouffe brutalement au fin fond du couloir tagué dans cet immeuble en décomposition
dehors je foule des feuilles mortes moitié vivantes moitié en poussières rien n'est finalement vivant dehors tout est fatigue
et c'est comme moi un monde en finition, même les beaux sons cessent, il reste alors un murmure, un brouillard, une déchirure où l'humanité elle-même ne peut rien
je n'ai plus que des photos de toi de dos
et floues
et tes longues mains, là